Décision et incertitude : Naviguer dans les environnements imprévisibles

Pourquoi l’incertitude n’est pas un problème mais une condition normale

Nous vivons avec l’idée que l’incertitude serait une anomalie à éliminer. Il faudrait décider avec certitude, planifier sans erreur, anticiper sans faille.

Mais dans une perspective systémique, l’incertitude n’est pas un défaut du monde. C’est son fonctionnement naturel. Les systèmes humains sont faits d’interactions, de signaux imparfaits, de régulations temporaires et d’ajustements permanents.

Chercher à supprimer l’incertitude, c’est chercher à supprimer le mouvement.

Au lieu de la combattre, la pensée systémique propose d’apprendre à naviguer avec elle. Comprendre comment les systèmes produisent et absorbent l’incertitude, c’est comprendre comment décider autrement.

L’illusion du contrôle : Pourquoi la volonté de certitude bloque les systèmes

Les modèles linéaires supposent que :

  • A cause B,
  • donc il suffit de corriger A pour obtenir un résultat clair,
  • et toute variation peut être anticipée si l’on collecte assez de données.

Cette logique rassurante se heurte à un fait simple. Dans les systèmes humains, les interactions sont circulaires.
Modifier un élément en modifie un autre, qui modifie le premier, etc.

Plus on veut tout prévoir, plus on déclenche des effets secondaires imprévisibles.

La quête de certitude devient alors un générateur d’incertitude supplémentaire. Plus un système cherche à verrouiller, plus il multiplie les compensations, contournements, réactions inattendues.

Décider dans l’incertain, c’est décider avec des boucles

Une décision n’est jamais un geste isolé. C’est un point dans une boucle.

Une même décision peut produire des effets opposés selon la dynamique en cours, les attentes des acteurs ou la structure des interactions.

Trois questions systémiques permettent de comprendre une situation incertaine :

  • Qu’est-ce qui se répète ? Les patterns révèlent la logique réelle du système.
  • Quels signaux le système envoie-t-il lorsqu’on intervient ? L’effet de retour est plus instructif que l’effet direct.
  • Quelles régulations silencieuses protègent la cohérence du système ? C’est souvent là que se jouent les décisions.

Décider dans l’incertitude, ce n’est pas anticiper les événements, mais reconnaître les formes d’interaction qui orientent le réel.

L’incertitude comme ressource stratégique

Dans un système vivant, l’incertitude n’est pas seulement un risque. C’est un réservoir d’options. L’absence de certitude ouvre des possibilités qu’un modèle trop rigide ferait disparaître.

Quelques fonctions utiles de l’incertitude :

  • elle empêche la rigidité et maintient la plasticité du système,
  • elle permet l’expérimentation là où la certitude imposerait une seule voie,
  • elle laisse émerger des solutions inattendues issues des interactions plutôt que de la planification,
  • elle révèle les boucles que la stabilité apparente cachait.

Dans ce sens, l’incertitude agit comme un révélateur. Elle met en lumière ce que l’ordre apparent camouflait.

Les trois erreurs classiques face à l’incertitude

Erreur 1 : Vouloir plus d’informations

On imagine souvent que l’incertitude vient d’un manque de données. Mais dans les systèmes humains, le problème n’est pas l’information, c’est la lecture.

Une surcharge d’informations peut même réduire la lisibilité.

Erreur 2 : Multiplier les processus de décision

Face au doute, beaucoup d’organisations ajoutent des réunions, des comités, des validations. En conséquence de quoi elles complexifient la boucle et augmentent l’incertitude qu’elles voulaient réduire.

Erreur 3 : Chercher la bonne décision

Il n’y a pas de décision parfaite dans l’incertain. Il n’y a que des décisions compatibles avec la dynamique du moment.

La bonne question n’est pas “Que faut-il choisir ?” mais “Quel choix est cohérent avec la structure actuelle du système ?”.

Comment décider différemment dans un environnement instable

La pensée systémique propose une autre manière de décider. Non pas en modélisant les scénarios, mais en observant les régulations.

1. Décider par micro-ajustements

De petites interventions permettent de tester la réaction du système sans le déstabiliser. Le feedback devient plus important que la décision elle-même.

2. Décider par dézoommage

Changer d’échelle (micro → méso → macro) transforme la compréhension de la situation. L’incertitude est souvent le résultat d’un zoom trop étroit.

3. Décider en modifiant les conditions, pas les acteurs

Une décision systémique change un paramètre structurel (rôle, règle, canal, timing) plutôt qu’un comportement.

4. Décider en révélant les boucles silencieuses

Une simple prise de conscience d’une boucle peut suffire à modifier la dynamique du système.

6. Pourquoi l’incertitude révèle la structure d’un système

Quand un système est stable, ses régulations restent invisibles. C’est lorsque l’environnement change que les mécanismes cachés deviennent perceptibles :

  • loyautés,
  • routines,
  • jeux d’influence,
  • attentes implicites,
  • zones d’évitement.

L’incertitude est donc un outil d’analyse : elle éclaire ce qui ne se voit pas dans les périodes de stabilité.

Décider dans l’incertain, c’est savoir lire le système

L’incertitude n’est ni un risque, ni une fatalité. C’est la condition naturelle des systèmes humains. Chercher à la supprimer, c’est souvent créer des rigidités qui fragilisent le système.

Décider dans l’incertitude, c’est apprendre à regarder ce qui structure les interactions, ce qui se répète, ce qui se renforce et ce qui se régule silencieusement.

Dans un monde instable, la meilleure stratégie n’est pas la certitude, mais la lecture juste du système.

Questions fréquentes – FAQ – Décision et incertitude

Pourquoi les décisions deviennent-elles plus difficiles dans l’incertitude ?

Parce que les repères sont mouvants, les boucles de rétroaction moins prévisibles et les conséquences plus difficiles à anticiper à partir de nos modèles habituels.

Qu’est-ce qu’une décision systémique ?

C’est une décision qui tient compte des interactions, des effets en chaîne et des réactions possibles des autres acteurs plutôt que de ne considérer qu’un paramètre isolé.

Peut-on décider sans avoir toutes les données ?

Oui. Il s’agit alors de travailler avec des scénarios, des marges de manœuvre et des mécanismes de révision plutôt que de chercher une certitude impossible.

Quelle place pour l’intuition dans ce type de décision ?

L’intuition peut être utile si elle est confrontée aux patterns observables et aux rétroactions réelles, plutôt que prise comme vérité brute

Comment réduire la paralysie décisionnelle ?

En réduisant la taille des engagements, en clarifiant les boucles de feedback attendues et en acceptant que la correction fait partie intégrante du processus de décision.